Prévu aujourd’hui, à 18 heures, le cocktail de présentation du recueil des Célébrations nationales 2011 aurait pu être un moment de fête pour le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Mais la fête aura sûrement un goût amer dû à la polémique qu’a suscitée le cinquantenaire de la mort de Céline présent dans ce recueil. Serge Klarsfeld, président de l’association des Fils et Filles de déportés juifs de France (FFDJF), s’est indigné que l’on puisse «célébrer» un écrivain connu également pour son antisémitisme virulent (voir nos éditions d’hier).
Les mots de Klarsfeld sont sans équivoque: «La République doit maintenir ses valeurs: Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé à ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain.»
Que la République le célèbre, c’est indigne.» Il en appelle d’abord au ministre de la Culture, et, ensuite, au président de la République. «Ce serait un acte de courage de la part de Frédéric Mitterrand d’enlever Céline de ce recueil, comme nous le réclamons.» Et d’ajouter, au cas où le ministère de la Culture n’agirait pas: «Nous attendrons que le premier ministre François Fillon et le président de la République prennent position. Notre réaction va être dure. Les morts du Vél’d’Hiv n’auraient pas aimé que la République célèbre Céline.»
Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), est sur la même longueur d’onde: «Je m’indigne de la même façon que Serge Klarsfeld, affirme-t-il. Il faut être cohérent, on ne peut pas célébrer Céline. Bien sûr, il est l’auteur du Voyage, mais il a également écrit des livres ignobles, comme Bagatelle pour un massacre.
Pour expliquer ce qui a motivé le comité, Henri Godard, professeur émérite à la Sorbonne, spécialiste incontesté de Céline et auteur de la notice dans le recueil contesté, explique: « Céline a deux visages: on ne peut oublier ni l’un ni l’autre.» Ami de Serge Klarsfeld – ils ont passé le bac ensemble et continuent d’entretenir des relations -, il juge excessive la démarche de son ami.
«Je comprends que l’on puisse déplorer la célébration de Céline – le mot “célébrer” est d’ailleurs ambigu -, mais c’est un cas épouvantablement complexe : on ne peut ignorer la valeur de l’écrivain français qui est actuellement l’un des plus lus et parmi les plus traduits dans le monde», explique-t-il.
Quant à François Gibault, président de la Société d’études céliniennes et avocat de Lucette Destouches (la veuve de Céline), il affirme que «Serge Klarsfeld, en demandant au ministre de la Culture de retirer le nom de Céline de la liste des célébrations nationales, fait une formidable publicité à cet écrivain», un écrivain qui détestait les célébrations. Rappelant qu’il veille à attaquer et faire saisir toutes les éditions pirates des pamphlets de l’écrivain, il conclut :
«J’ajoute qu’il me paraît malsain, 78 ans après la publication du Voyage, plus de 70 ans après celle des pamphlets, d’attiser de nouveau les passions. Cela ne fait que réveiller de vieux démons et je crains que l’initiative de Serge Klarsfeld ait un effet contraire à celui qu’il recherche.»